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~ Première partie : L’enfance heureuse d’un petit prince des neiges ~
Avdeïev. Un nom qui suscite encore le respect dans toute la Russie, et même au-delà, dans les proches pays de l’Est, jusqu’en Allemagne et en France. Une famille dont la pureté de sang ne se discute pas, dont l’influence et la puissance se sont fait sentir jusque dans les plus hautes strates du pouvoir. Une aura mythique pare ce nom ancien, dont l’origine se perd dans les tréfonds du temps ; les pages de l’histoire sont éclaboussées par le sang et l’or versés par leur ordre. Pouvoir n’est pas un vain mot pour eux. Autrefois, un proverbe disait : « ce qu’un Avdeïev désire, le gouvernement l’accomplit ». Cette proximité avec la politique n’a pas empêché, bien au contraire, la famille de se tourner vers l’illégalité et les trafics en tout genre. La Mafiya russe trouve chez les Avdeïev son équivalent magique : la mafia magique russe. Si, aujourd’hui, l’influence politique de la famille est quelque peu amoindrie tout en étant loin d’être négligeable, ses chefs sont toujours respectés et sont à la tête d’un véritable empire financier, qui a des ramifications dans presque tous les domaines. Naturellement, avec tout cela, la famille ne pouvait que donner son allégeance à la Magie Noire, ces arts fascinants et si mystérieux. Des soupçons, des rumeurs ont couru autrefois, selon lesquels les Avdeïev auraient soutenu la cause de Grindelwald mais aussi de Voldemort. C’est possible ; il n’y a guère d’affaires sur le Vieux Continent où ils ne sont guère mêlés. Mais rien n’a jamais pu être prouvé. Ils ne laissent jamais de traces, jamais de preuves, comme le vent de l’hiver qui efface tout. Et de toute façon, qui enquêterait contre eux ? Ils sont inattaquables, au-delà de toute atteinte. Intouchables. Invincibles.
Au début du XXIème siècle, Nikolaï Ivanovitch Avdeïev dirige la famille avec une efficacité redoutable et toute la noblesse sang-pur se presse chez eux, dans les prestigieuses réceptions organisées au magnifique château familial. Marié à Natalia Nikititchna Tsvetkov, Nikolaï a eu un premier enfant avec elle, Alekseï, né en avril 1998.
31 décembre 2008, la tombée de la nuit, en plein cœur de la Russie. Le dernier jour d’un mois qui se meurt sous la neige et le vent, dans des températures largement en dessous des moyennes de saison. Camaïeu blanc et gris, le monde geint et gémit, pour accueillir la venue au monde du nouveau rejeton de la très noble et très prestigieuse famille des Avdeïev. Les médicomages s’agitent dans la chambre de Natalia, pressés par l’urgence de la situation. Tous sentent peser sur eux le dur regard de Nikolaï qui a insisté pour être présent. Ils n’ont pas le droit d’échouer mais l’enfant, trop faible, leur échappe de plus en plus tandis que la mère s’affaiblit.
Au prix de nombreux efforts, qui ont nécessité tout leurs talents, les guérisseurs sont parvenus à les sauver tous les deux, sans garantir que l’enfant survivrait aux rigueurs de l’hiver russe. Nikolaï leur a assuré qu’un Avdeïev, Russe depuis des générations et des générations, ne pouvait qu’aimer l’hiver et y résister. Et Lev a montré pour la première fois sa volonté de vivre en obéissant à la lettre aux propos de son père. Néanmoins, de cette naissance difficile, il a toujours gardé une santé assez fragile qui transparaît dans sa silhouette.
Les premières années du garçon ont été plutôt heureuses, partagées entre la demeure familiale près de Moscou et la datcha dans les environs de Nijni-Novgorod. Nikolaï et Natalia étaient souvent absents, en voyage pour les affaires de la famille, légales ou non, tandis qu’Alekseï, plus vieux que Lev de dix ans, est entré à Durmstrang l’année de sa naissance. De ce fait, dans les premières années de Lev, ne se voyant qu’aux vacances, les deux frères n’ont guère développé d’intimité même s’ils s’amusaient bien ensemble et que Lev l’admirait, l’aîné entraînant le cadet dans toutes ses aventures, au grand dam des parents, inquiets de la santé de ce dernier. Malgré la fragilité de celui-ci, Nikolaï aimait beaucoup son fils et le gâtait de nombreux présents, sans pour autant négliger de lui donner une éducation stricte et rigoureuse. Un Avdeïev se doit de tenir son rang en tous temps, en tous lieux, et ce dès son plus jeune âge. Traditions, étiquette : Lev a tout appris de la parfaite conduite des sang-pur auprès de son père, ainsi que l’importance des valeurs du sang et de la famille. A côté de cela, sous l’égide de son père, on lui a également enseigné l’équitation et l’escrime, comme à Alekseï. Une éducation toute entière tournée vers l’excellence, pour faire de lui quelqu’un à l’aise même dans les plus hauts cercles. Brillant, courtois, aimable en société, capable de faire de l’esprit, de charmer les autres : l’enfant le devint rapidement, profitant de ces enseignements pour peaufiner son personnage de petit prince.
Natalia, de son côté, le couvait et le protégeait dès qu’elle était présente, laissant des consignes strictes aux domestiques chargés de veiller sur l’enfant, lors de ses absences, tandis qu’Alekseï se faisait un malin plaisir de déjouer les attentions de leur mère en profitant des vacances pour ouvrir Lev au monde et l’entraîner dans ses escapades. Les deux frères se sont passionnés pour les promenades et les courses de traîneau. Malgré ses ennuis de santé, en véritable prince des neiges, Lev adore cette matière et la voir jaillir autour du traîneau demeure l’un de ses plaisirs préférés.
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https://www.youtube.com/watch?v=2SLvtP6KMUM [/flash]
- Spoiler:
Flash-back :
Quand la neige a recouvert la plaine
Je prends mon cheval et mon traîneau
Et mon chant s'élève à perdre haleine
Non, jamais le monde fut si beau.25 décembre 2013. Pour le jour de Noël, le blizzard a cessé, les températures sont redevenues supportables et le ciel est d’un bleu pur. Dans le parc d’un château isolé, un traîneau peint de couleurs vives glisse à toute allure sur la neige, tiré par deux chevaux. Les clochettes qui l’ornent carillonnent joyeusement et la neige vole en gerbe, le faisant parfois disparaître derrière son écrin blanc. Des rires joyeux s’élèvent du traîneau et une voix d’enfant s’exclame :
-Plus vite ! Plus vite !
Traçant une piste dans le manteau immaculé de la neige, les chevaux forcent encore l’allure.
Au matin dans la brise glaciale
Je m'en vais au gré de mon traîneau
Mais le ciel peu à peu se dévoile,
Non, jamais le monde fut si beau.Bien emmitouflé sous un monceau de couvertures, avec un bonnet qui cache presque entièrement ses cheveux blonds et une écharpe qui lui monte jusqu’au nez, Lev laisse éclater sa joie. A côté de lui, Alekseï profite tout autant de l’instant, et c’est d’une même voix que les deux frères entonnent :
Dès le soir quand la nuit est rebelle
Mon cheval s'empresse au grand galop :
Mais mon coeur, lui, reste aussi fidèle,
Non, jamais le monde fut si beau.[ /i]
Non, jamais le monde fut si beau aux yeux de Lev. Au bout d’un moment, le traîneau revient vers le château où les attendent leurs parents. Les joues rougies par le vent mais les yeux brillants, le garçon agite la main dans leur direction et ils lui répondent en souriant. La vie est belle mais elle ne le sera plus longtemps.
Fin flash-back
Lev s’est aussi découvert une passion pour le violon et il en joue depuis ses quatre ans. Il pratique également le clavecin mais son cœur a très vite donné sa préférence pour l’archet. Musicien extrêmement doué et précoce, il joue souvent pour ses parents sur le petit violon qu’ils lui ont offert.
L’actuelle génération de la famille ne se limite cependant pas à Lev et son frère. Devka, la sœur de Nikolaï, a eu deux fils : Matthew et Azrael, ce dernier ayant le même âge que Lev. Les deux jeunes cousins ont donc grandi ensemble, pratiquant de nombreuses activités en commun, ce qui n’a fait que les rapprocher. Cousine d’Azrael, et donc celle de Lev par alliance, Victoria fait également partie de leur petit cercle de privilégiés. Elle et Lev sont capables de faire mille et une bêtises, au point que lorsqu’ils se retrouvent, la vigilance des parents atteint son summum…et est pourtant souvent déjouée par les deux petits diables, dont l’esprit n’est que malice. Leur imagination n’est jamais prise en défaut et leur âge mental décroît en proportion du temps passé ensemble.
Bien sûr, à côté de cela, Lev sait également manifester le sérieux que l’on attend de lui lors des réceptions organisées par ses parents, ou lorsque ceux-ci sont reçus. Les gens se laissent aisément prendre au piège de ses boucles blondes et de ses yeux si clairs, si purs ; félicitent les parents d’avoir un si bel enfant…et oublient facilement de quoi il est capable.
Si seulement tout avait pu continuer ainsi, les jeux avec Alekseï et ses cousins, l’affection de ses parents, cette vie si heureuse…
~ Deuxième partie : Les jeux du Destin ~
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https://www.youtube.com/watch?v=YyknBTm_YyM[/flash]Le premier drame a eu lieu en décembre 2015. Alors que Lev se réjouissait de fêter enfin son septième anniversaire et qu’il attendait avec impatience la venue d’Azrael, de Matthew et de leurs parents, tout a été bouleversé par une annonce stupéfiante : le manoir des Fever venait d’être l’objet d’un attentat. Nikolaï et Natalia sont aussitôt partis sur les lieux. Lev n’a jamais oublié cette nuit terrible où la toute-puissance des Avdeïev a été contestée une première fois, cette nuit où il attendu des nouvelles de ses cousins, de son oncle et de sa tante. La colère froide de son père, furieux qu’on s’en soit pris ainsi à leur famille. La froide résolution de se venger et de ne pas laisser un tel crime impuni.
Le père d’Azrael est décédé dans l’incendie tandis que sa mère se trouvait plongée dans le coma. Les deux frères sont alors venus habiter chez Lev. Nikolaï a tout mis en œuvre pour retrouver les auteurs de l’attentat et venger son beau-frère. Sans succès dans les premiers temps. Peut-être aurait-il pu réussir si le Destin ne s’était pas joué à nouveau d’eux…
Mai 2016. Cinq mois après l’incendie. Alekseï achevait sa dernière année d’études à Durmstrang et Lev se réjouissait de le voir revenir pour de bon d’ici un mois. Ils auraient ainsi plus de temps pour jouer ensemble et il était persuadé que son frère lui apprendrait tout ce qu’il savait. Dans sa ferveur d’enfant, Alekseï conservait son aura. De son côté, Nikolaï attendait avec impatience le retour de son aîné. Il l’avait déjà initié aux affaires de la famille et le jeune homme se débrouillait bien, mais il était temps d’aller plus loin et de commencer à l’imposer comme son second et son héritier.
Flash-back
[i]UN NAVIRE DISPARAÎT CORPS ET BIENS AU LARGE DE NOS CÔTES
Depuis plusieurs jours, on était sans nouvelles du navire Katyuska, appartenant à la flotte commerciale de la famille Avdeïev. Celui-ci naviguait au nord des côtes de la Russie en direction de l’Europe où il devait décharger ses marchandises. Aucune communication magique ne permettait de joindre le Katyuska. Il semble désormais possible d’affirmer que le navire a été pris dans une tempête et a sombré, malgré la qualité de son équipage. Des sorciers du Ministère sont sur les lieux de la dernière position connue du Katyuska et tentent de repérer des traces de l’épave sur l’itinéraire qu’il devait suivre mais il s’agit d’un travail de longue haleine, qui conduira surtout à déterminer les circonstances exactes du naufrage. Comme l’affirme Dragomir Voïvov, dépêché sur les lieux, « nous ne cherchons aucun survivant. Le navire était trop loin des côtes et l’eau bien trop froide pour que la survie y soit possible, même pour des sorciers aussi talentueux que les Avdeïev. Toutes nos condoléances vont au famille des disparus ».
Suivait la liste des personnes présentes à bord du navire. Venaient en tête deux noms, précédés de la mention armateur : Natalia et Nikolaï Avdeïev. Alekseï repoussa d’un geste sec le journal. Le naufrage alimentait tous les journaux magiques du pays et toutes les discussions. Les condoléances affluaient, sincères pour certaines, hypocrites pour la plupart. Le jeune homme se frotta les yeux, fatigué. Les larmes n’avaient pas droit de cité. Il lui fallait maintenant installer son autorité et faire face aux tentatives sournoises qui ne tarderaient pas à tenter d’affaiblir l’empire familial maintenant que ses parents n’étaient plus et que sa tante demeurait encore dans le coma. Sans parler de s’occuper de Lev. Le majordome lui avait dit que le garçon restait dans le salon préféré de leur mère, assis devant la cheminée, son violon à côté de lui. Il avait pris ses distances avec ses cousins, ne leur parlait quasiment plus. Apparemment, Lev attendait le retour de Natalia ; de l’expression « perdu corps et biens », il ne retenait que le mot « perdu » et à ses yeux, tout ce qui était égaré ou perdu pouvait un jour se retrouver. Il suffisait d’attendre. Bien qu’on eût tenté de lui expliquer la situation, il ne voulait rien savoir et se mettait dans des colères folles quand on sous-entendait que ses parents pourraient ne pas revenir. Alekseï soupira. Lev attendrait. Pour l’instant, malgré son chagrin, il devait prouver au monde qu’il avait les épaules pour porter les Avdeïev et conserver leur place. Rien de moins aisé face aux requins qui hantaient le monde des sang-pur qui n’attendaient qu’un seul faux pas pour la curée. Un reflet du feu accrocha l’or de la chevalière qui brillait à son annulaire gauche. Les deux croissants de lune adossés à une épée, le tout surmonté d’une couronne. Les armes des Avdeïev. Il les maintiendrait aussi haut qu’elles l’avaient toujours été. Il lui faudrait affirmer son autorité, s’imposer face à tous. Endosser le rôle du chef de famille, soutenir à bout de bras l’empire familial, agir comme Nikolaï. Donner les ordres, décider sans hésitation ni atermoiements, prendre les engagements qui allaient orienter les prochains mouvements de la famille. S’assurer que le naufrage n’était bien qu’un accident. Poursuivre la vengeance contre ceux qui s’en étaient pris aux Fever. Tout cela, il le ferait. Après seulement, il pourrait s’autoriser à redevenir Alekseï et à se soucier de Lev.
Tandis que son frère s’affairait, Lev espérait encore et toujours le retour de ses parents. Ils étaient perdus, mais quelqu’un finirait bien par les retrouver. Alekseï avait dit que des sorciers les cherchaient, ce n’était donc qu’une question de temps. Il devait attendre. Espérer envers et contre tout. Même si les autres n’avaient plus d’espoir, lui conservait le sien ; il leur montrerait à tous qu’ils se trompaient, que leurs parents n’étaient pas morts. Pour lui, c’était tout simplement impossible. Impensable. La mort avait déjà frappé une fois chez eux ; elle ne recommencerait pas.
Un jour, ses parents reviendraient, ils monteraient dans ce petit salon qu’ils affectionnaient, et il serait là, avec son violon, près de l’âtre, il courrait vers eux et ils lui demanderaient de jouer, comme avant. Et les notes s’élèveraient, joyeuses, amenant un sourire tendre sur les visages de Natalia et Nikolaï. Il suffisait d’être patient. De rester à sa place. S’il s’éloignait trop, ses parents risquaient de revenir et de repartir pour un autre voyage, sans qu’il les voie.
Trois semaines plus tard, Alekseï avait rassuré ses principaux alliés sur ses capacités à gérer les affaires et leurs ennemis n’étaient plus aussi enthousiastes. Restait le problème de Lev. L’enfant vivait pratiquement dans le salon et ne répondait guère aux sollicitations, complètement replié sur lui-même. Petit fantôme, toute son insouciance envolée, il faisait ce qu’on lui disait, sans entrain, mangeait, se couchait sans un mot mais il était souvent arrivé qu’on le retrouve au petit matin, endormi dans le salon, après qu’il eut quitté son lit où l’avait laissé la gouvernante. Il était temps d’aller le voir, de le ramener à la raison. Alekseï s’en voulait de ne pas avoir eu davantage de temps à lui consacrer ; il avait espéré que la présence d’Azrael et Matthew aiderait Lev à se reprendre, mais le petit garçon continuait de s’enfoncer dans sa mélancolie et dans ses vains espoirs… Le jeune homme laissa tomber ses dossiers et quitta le bureau qui avait autrefois appartenu à Nikolaï. Il était 23 heures, Lev dormait sûrement. A moins que… Alekseï prit la direction du salon. A mi-chemin, la musique qui résonnait dans les couloirs lui confirma qu’il avait eu raison. Un violon jouait, frêle dans l’obscurité du château silencieux. Le jeune homme frissonna. Lev espérait-il appeler leurs parents ainsi ? C’était la berceuse que chantait toujours leur mère…
Lev avait posé son violon lorsque son frère entra, mais il ne se retourna pas en sentant la présence du jeune homme. Ce n’était pas celui qu’il attendait. Toujours assis devant la cheminée, les yeux fixés sur les flammes dansantes, il était plus immobile qu’une statue. Les ombres produites par le jeu jouaient sur son visage. Le cœur serré, Alexeï s’assit sur le tapis, à côté de son frère. Aucune réaction de la part de l’enfant, qui continua à fixer les flammes. Alekseï hésita un instant puis tendit les bras, attrapa Lev pour l’attirer dans le creux de ses genoux. Après une légère résistance, le petit se laissa faire et se blottit contre la poitrine de son aîné, dans les bras solides qui l’entouraient.
-Tu n’as pas sommeil ? demanda Alekseï d’une voix douce.
-Non.
Une petite voix indifférente, morne, sans vie.
-Je t’ai entendu jouer du violon. C’était très beau, tu es vraiment doué, tu sais ?
-Merci.
Le silence retomba entre eux. Puis la voix de Lev s’éleva de nouveau. Toujours la même question.
-Tu as des nouvelles ?
-Non, Liova, répondit Alekseï, employant le surnom affectueux. Je ne crois pas qu’on en aura maintenant.
-Si. Ils vont se retrouver ou quelqu’un le fera. Ca sera pour bientôt…Il faut que tu penses à eux, sinon ils n’auront pas envie de revenir, s’ils croient qu’on les oublie.
Les paroles de Lev étaient pleines de confiance. Mais il se tut et les yeux verts si clairs se levèrent vers lui.
-Pourquoi tu me serres si fort ? Tu me fais mal…
Alekseï ne s’était pas rendu compte à quel point il s’était raidi en entendant les mots de son frère. Comment expliquer la mort à un enfant de sept ans, quand on en a soi-même dix-huit ?
Il relâcha quelque peu son étreinte et prit la parole.
La discussion dura longtemps ; la colère de Lev fut difficile à vaincre, son déni plus encore. Mais petit à petit, les résistances du garçon cédèrent et il finit par admettre l’idée que leurs parents ne reviendraient pas. Les larmes coulèrent et Alekseï s’employa à le réconforter.
Au bout d’un moment, Lev se dégagea des bras de son frère.
-Et toi ? Tu ne partiras pas comme eux ? Tu restes ici ?
Une inquiétude nouvelle perçait dans sa voix, la crainte de se retrouver seul à nouveau.
-Oui, Liova. Je te le promets. Je ne t’abandonnerai jamais.
Avec un sourire triste, le garçon se laissa aller dans ses bras. Alekseï se releva avec douceur.
-Dis, tu me chantes la chanson de maman ? Comme ça, c’est comme si elle était encore un peu là…
En repoussant du pied la porte du salon, son frère serré dans ses bras, Alekseï commença de chanter, la voix un peu étouffée par les pleurs qu’il retenait. Lui aussi l’avait tellement entendu cette berceuse…
Une libellule s'est posée sur la lune.
Dans les bois, au profond des nids,
Les oiseaux se sont endormis.
N'aie pas peur du vent qui gronde,
Ni des chiens errant dans l'ombre.
Mille étoiles vont briller,
Mille étoiles pour te bercer.
Tous les coquillages qui jouaient sur la plage
Sont partis se cacher dans l'eau,
Retrouver leurs petits berceaux.
Tourne la grande ourse, tourne la petite ourse.
Il n'y a pas de nuit sans matin,
Le soleil reviendra demain.
Lev ne dit rien, mais au fond de lui, il savait désormais que les paroles étaient fausses. La nuit dans laquelle les Avdeïev venaient de plonger ne disparaîtrait jamais. Il n’y avait pas d’espoir, n’en aurait jamais. L’aube ne viendrait pas. Mais ils résisteraient quand même.
[center]Fin flash-back
~Troisième partie : Et des cendres renaquit le Phénix ~
La mécanique du cœur est une chose délicate et fragile. Lorsqu’elle est brisée, elle l’est irrémédiablement, au-delà de toute réparation. On peut tenter de la rafistoler tant bien que mal mais le résultat ne sera jamais qu’un pâle reflet de ce qui a été. Comme un jouet cassé et recollé, les traces des fissures demeurent bien présentes, impossibles à effacer. La mécanique n’est plus jamais la même ; les ressorts sont légèrement distordus. Oh, il ne s’agit pas de grand-chose, un léger décalage par rapport à avant… C’est peu, mais cela suffit pour tout dérégler. Suite à ces évènements si douloureux, le cœur de Lev se durcit, emprisonnant la douleur qui ne s’éteindrait jamais mais serait à présent l’aliment principal de son énergie, de sa volonté de vivre. Extérieurement, rien ne changea : il gardait son allure angélique, enfantine et savait jouer des apparences et des masques, comme d’une seconde peau, aussi naturelle que la première. Seuls ses proches pouvaient savoir ce qu’il pensait. Les autres… Ils ne comptaient pas ou seulement pour l’utilité qu’il pouvait leur trouver de temps à autre.
Au cours de l’été qui suivit, Alekseï assuma pleinement ses responsabilités de chef de l’organisation familiale, malgré son jeune âge. L’aide des hommes les plus proches de son père lui fut utile –certes, cela ne l’empêcha pas de commettre des erreurs, mais rien d’irréparable. Lev se rapprocha de lui, passant le plus de temps possible avec lui, avec la crainte secrète qu’Alekseï ne parte à son tour d’une façon ou d’une autre. Cependant, il resta également très proche d’Azrael et Matthew. Lorsque Devka, la mère de ceux-ci, se rétablirent, ils quittèrent le palais des Avdeïev pour habiter l’une de leurs nombreuses résidences secondaires. Après le départ de ses cousins, Lev ne quitta plus son frère d’une semelle, lui demandant même de l’initier à ses affaires pour pouvoir l’aider. La fin de l’année 2016 se déroula plus paisiblement, avec le rétablissement progressif de la mère d’Azrael, mais le retour du Nouvel An fut pénible pour tous. Dès lors, Lev s’arrangea pour fêter son anniversaire avec quelques jours de décalage, avant ou après.
Alekseï prit son éducation en main, le forma à toutes les idées de leur famille ainsi qu’à l’idéologie des sang-pur que Lev accepta comme une évidence et lui apprit à s’endurcir face aux autres. Suivant en tous points le modèle de son aîné, en grandissant, Lev agit sans scrupules, calculant les avantages et les inconvénients d’une situation, et acquit le caractère impitoyable que nécessite une vie où se mêlent liens avec le pouvoir, corruption et banditisme. Son frère le fit également étudier, mettant à sa disposition les ressources presque infinies de l’immense bibliothèque des Avdeïev. Des bibliothèques, mêmes. Car, comme c’est le cas chez de nombreuses familles sang-pur, elles sont au nombre de deux. La première n’est là que pour l’apparat, elle présente des ouvrages rares et précieux, la bibliothèque idéale du parfait sorcier modèle. L’autre en revanche recèle des grimoires dont la possession est interdite car ils renferment de noirs secrets. Fidèle à l’allégeance familiale envers la magie noire, Alekseï, avec Matthew et Devka, forma les deux petits cousins à cet art, que Lev pratique avec plaisir. A ses yeux, cette forme de magie est bien plus envoûtante, bien plus fascinante que toutes les autres. Acharné à plaire à son frère, Lev remplit toutes ses attentes en termes d’étude. La mémoire et l’intelligence du jeune garçon se développèrent rapidement. Sans pour autant négliger les loisirs : l’équitation demeure l’une des activités favorites des deux frères, qui n’aiment rien tant que monter et galoper tous les deux. Lorsqu’il juge que son frère travaille trop, Lev vient l’arracher à ses dossiers et le jeune homme de vingt ans, souriant devant l’entrain de son cadet, cède volontiers à ses demandes. Jusqu’au jour où ce sera la fois de trop… Mais cette page de l’histoire n’est pas encore écrite, elle viendra à son heure.
Lev reçut sa lettre de l’Institut Durmstrang avec un mélange de joie et de tristesse. Il était ravi de pouvoir enfin entamer ses études en compagnie d’Azrael mais il n’avait guère quitté son frère au cours des dernières années. Alekseï l’emmena chez le célèbre Gregorovitch pour acheter sa baguette. Bois d’if et plume de phénix. Une baguette exigeante et difficile à apprivoiser par son cœur, à la réputation sombre par son bois. L’if est connu pour ne jamais choisir de personne timide ou médiocre et Lev prit cela comme un bon présage. En même temps que sa baguette, Alekseï lui offrit la chevalière en or, aux armes de la famille, que chaque membre se doit de porter après son entrée à l’école.
Les cours se passèrent à merveille, comme de bien entendu. Lev se passionna pour la Magie Noire, les sortilèges, ainsi que la métamorphose, tandis qu’il vouait une sainte horreur à l’astronomie. Quel intérêt d’étudier ce qui se passait à des millions de kilomètre et n’avait aucune incidence sur la vie ici-bas ? De plus, le garçon préférait laisser au ciel ses secrets.
Autour de son cousin, de lui et de leurs amis, gravitaient les autres sang-pur : Azrael et Lev n’étaient certes pas les plus vieux d’entre eux, mais la hiérarchie séculaire établie entre les familles ne tient pas compte des âges, et les Avdeïev en occupent le sommet. Ils étaient ceux qui menaient la danse, ceux qui entraînaient les autres, ceux qu’on enviait et qu’on jalousait. Ceux dont le groupe était le plus impénétrable qui fût et auquel n’étaient conviés que ceux qui le méritaient. Séparé les uns des autres, les membres, composé des enfants des principales familles de sang-pur, étaient accessibles, si on avait le courage de les aborder, mais ensemble, ils formaient le plus fermé des cercles.
Mais la routine ne semble pas pouvoir s’installer chez les Avdeïev. Aussi, au bout de deux ans de cette vie paisible, heureuse autant qu’elle pouvait l’être après les drames subis par la famille, de nouvelles menaces pointèrent à l’horizon. Une nouvelle mafia tentait de s’imposer en Russie et de contrebalancer le pouvoir des Avdeïev. Comme si leur pouvoir séculaire pouvait ainsi être mis en péril… Leur palais et leurs autres demeures, protégés par des enchantements anciens, sont quasiment imprenables ; et il faudrait être fou pour s’en prendre à eux à visage découvert. Mais loin de chez eux, à l’école par exemple, des failles pouvaient exister. D’autant que le Ministère, prenant ses distances, essayait de se libérer du joug de la famille, de reprendre un peu de liberté, comme un chien s’agitant au bout de sa laisse. Il faudrait peu de temps pour le museler de nouveau et lui rappeler qui tirait vraiment les ficelles. En attendant, il fut cependant décidé d’envoyer Lev et Azrael à Poudlard où ils entameraient la suite de leurs études, à partir de la troisième. Pour leur protection, même si officiellement, il s’agissait de leur donner une éducation plus anglaise. Mais les garçons auraient également un rôle à jouer sur place : mignons, encore jeunes, ils n’attireraient pas les soupçons ni la méfiance. Il leur serait aisé de s’introduire dans la bonne société de l’école, et d’entendre, qui sait, les confidences et les secrets des familles anglaises. D’avoir un aperçu clair des allégeances et des alliances à l’œuvre, et de nouer des liens pour l’avenir. Lev accepta volontiers le changement d’école, puisque cela lui permettrait de découvrir un nouveau terrain d’amusement, même s’il regrettait sincèrement que l’enseignement de la magie noire fut remplacé par celui de la défense contre les forces du mal, beaucoup moins passionnant à ses yeux. Il savait également que des vampires fréquentaient désormais la célèbre école anglaise. Ce serait sans doute une belle opportunité d’en apprendre davantage sur eux, assez secrets en temps ordinaire. Du moment, bien sûr, qu’ils n’essayaient pas de boire son sang.
De belles heures qui attendent Lev à Poudlard, sans doute. Mais les vents contraires ne sont jamais loin et de nouveau, les nuages s’amoncellent autour de la tête du jeune sorcier, prêts à laisser le malheur tomber de nouveau. Depuis quelque temps, en effet, Lev est pris de violents maux de tête, migraines qui le fatiguent, parfois accompagnées de quintes de toux. Simple faiblesse passagère ou maladie plus sérieuse ? Le garçon ne s’inquiète pas tellement pour le moment, se contentant de prendre des potions analgésiques, mais celles-ci sont de moins en moins efficaces. Il commence à réfléchir au problème mais n’en a encore parlé à personne, pas même à son frère, de peur de passer pour un faible ou un craintif, s’il s’avérait que ce n’est rien de grave. Mais la douleur augmente et, à la toux commencent à se mêler quelques gouttes de sang.
Alors, Lev, prêt à entamer ce nouveau combat, non contre les autres cette fois, mais contre toi-même ?
©Maat